On me demande très souvent ce que je pense de la faisabilité économique d’un projet de création d’entreprise et il convient de tenir compte de nombreux facteurs dans cette analyse. L’idée n’est malheureusement pas tout…

Toutefois et si je devais partir sur une île déserte avec un seul «outil», je choisirais le seuil de rentabilité. On l’appelle parfois le point-mort ou encore le break-even (pour les anglophones).

Cette technique possède de nombreux avantages comme la simplicité, le pragmatisme et la flexibilité. J’ai donc décidé, pour cet article, de mettre ma casquette de «matheux» et de vous livrer les bases de cette méthode de calcul.

Alors sortez vos calculettes, branchez votre cerveau en mode numérique et suivez le guide…

Le concept de faisabilité

Lorsqu’on veut lancer un business, on cherche généralement à réduire l’incertitude et voir si le projet est viable (dans le sens monétaire).

L’idée du seuil de rentabilité est de déterminer le montant du chiffre d’affaires à réaliser pour équilibrer les comptes ! Combien faut-il vendre pour couvrir toutes les charges sans dégager de bénéfice ?

C’est déjà pas mal comme objectif 🙂

Un peu à la manière d’un apprenti conducteur, on cherche à trouver le point de friction entre les revenus et les dépenses de notre futur business. Finalement ce chiffre peut être confronté à la réalité du marché.

Effectivement, si ce calcul démontre comme je l’ai vécu avec un starter que j’ai accompagné, que pour vous en sortir vous devrez vendre un maillot de bain par mois à 40% de la population active suisse… vous êtes plutôt mal parti avec le réalisme !

Rien ne vaut un exemple concret pour comprendre un concept tel que le seuil de rentabilité ! Je vous propose donc d’imaginer que notre projet est de lancer un magasin de vente de vélos.

Voici comment calculer cet indicateur.

1. Déterminer le niveau de marge brute (MB)

Pour pouvoir calculer le seuil de rentabilité, le premier facteur à déterminer est la marge brute. On parle ici de la différence entre le prix de revient (frais variables) et le prix de vente de votre futur produit/service.

Pour reprendre notre exemple du vendeur de vélos, imaginez que le prix de revient moyen (facture du fabriquant, frais de transport, douane, etc…) soit de 400 francs par vélo et que le prix de vente public prévu est de 800 francs, la marge brute est de :

Prix de vente 800 – Prix de revient d’achat 400 = 400

Si on exprime la marge brute en % du prix de vente on obtient:

400/800 = 0.5 ou 50% (appelé le taux de marge brute)

Plus vous serez précis dans l’appréciation de ce facteur et plus votre prédiction sera plausible. Donc faites vos recherches et contactez des éventuels futurs fournisseurs pour obenir une information robuste et réaliste.

Si vous êtes dans les services, la marge brute est généralement beaucoup plus élevée même proche de 100% dans certains cas.

En effet, si votre business consiste à vendre votre savoir-faire à la manière d’un freelancer et que vos futurs clients couvrent tous les coûts directs liés à vos missions, vous n’aurez pratiquement pas de «prix de revient».

Pour ma part et même pour ces cas, je pars plutôt sur un taux de marge maximum de 95-98% pour tenir compte de quelques dépenses marginales.

2. Calculer le montant des frais fixes (FF)

Au contraire de frais variables du point 1, il existe des charges à payer quel que soit le niveau de vos futures ventes. Il s’agit de tous les coûts d’infrastructure et d’exploitation de l’entreprise.

Généralement et dans un premier temps, je me base sur une période de 12 mois. On peut bien entendu moduler cette hypothèse pour correspondre totalement à la vision de l’entrepreneur (plus ou moins long terme).

Alors prenez une feuille blanche, un bon stylo et listez tous ces éléments. Et croyez-moi, la liste s’allonge rapidement lorsqu’on réalise cet exercice de manière concrète et objective.

Allons-y pour quelques idées (énumération non exhaustive) :

  • Les salaires (y compris le vôtre)
  • Les charges sociales obligatoires (en Suisse comptez 25-30% en moyenne par rapport au salaire net)
  • Les frais de locaux
  • Les frais d’entretien et de nettoyage
  • Les charges énergétiques (électricité, chauffage, eau, …)
  • Le téléphone/internet
  • Les dépenses adminitratives (papier, crayons, cartouches d’encre, timbres, classeurs, …)
  • Les frais de déplacement et de voyage
  • Les coûts de véhicule (leasing, assurance, plaques, entretien, essence, …)
  • Le marketing et la publicité (logo, cartes de visite, pub, réseaux sociaux, website, … )
  • Les frais de gestion (fiduciaire pour la comptabilité, conseils juridiques, …)
  • Les frais financiers (tenue de compte, frais de transaction, intérêts sur compte, …)
  • Les taxes et les assurances

Et vous verrez que lorsqu’on fait l’addition, on finit avec un montant qui est certainement bien supérieur à votre intuition.

Bienvenue dans le monde de l’entrepreneuriat !

Faisons l’exercice pour notre marchand de vélos :

  • Salaire net annuel : 36’000 francs (soit 3’000 francs net par mois)
  • Charges sociales : 9’000 francs (36’000 x 25% -> hypothèse optimiste)
  • Loyer : 9’600 francs (800 x 12 mois)
  • Téléphone/internet : 1’200 francs (100 x 12 mois)
  • Frais administratifs : 600 francs (50 x 12 mois)
  • Marketing : 1’500 francs
  • Frais de comptabilité : 1’500.-

Soit un total annuel de frais fixes de : 59’400 francs

Plutôt impressionnant et je suis pourtant probablement très loin de la réalité…

3. Le modèle et ressusciter la règle de 3

Pour comprendre le seuil de rentabilité, il faut se graver ceci dans la tête :

Seuil de rentabilité => Bénéfice Net = 0

On peut poser le modèle suivant :

seuil de rentabilité

Comme un bon exemple vaut toutes les explications du monde, reprenons la situation de notre marchand de vélos en partant du bas de notre équation…

seuil de rentabilité exemple

Si le bénéfice net doit être égal à zéro et que les frais fixes sont de 59’400.-, la marge brute doit obligatoirement être de 59’400.- également (puisque sans surprise, 59’400 – 59’400 = 0)

Ensuite, on sait (car on l’a calculé auparavent) que la marge brute correspond en moyenne à 50% du chiffre d’affaires (dans notre exemple du marchand de vélos).

Le tour est presque joué ! Il suffit de nous rappeler la règle de 3 :

Pour équilibrer ses comptes et s’en sortir, ce futur marchand de vélos doit donc réaliser un chiffre d’affaires de 118’800 francs par an… C’est son seuil de rentabilité !

Partant de là, il est ensuite possible de «mesurer» la faisabilité de son projet en confrontant cette projection par rapport à la réalité du marché.

Dans le cas de notre exemple et partant du principe que dans notre pays les ventes de vélos se concentrent entre avril et fin septembre (soit 6 mois), il lui faudra vendre :

118’800.- / 6 mois = 19’800.- par mois

Divisé par le prix moyen du vélo soit 800.-, on obtient un total d’environ :

25 vélos par mois (entre 6 et 7 unités par semaine)!

Pas besoin d’être un spécialiste du deux roues pour comprendre immédiatement que cela fait un sacré paquet de vélos…

Et donc, si son business modèle s’articule autour de la vente via sa propre boutique uniquement et que celle-ci est située dans une petite ville de 25’000 habitants, autant dire qu’il va «droit dans le mur ». CQFD…

Conclusion

Votre propre projet ne ressemble certainement pas à l’aventure de notre exemple et les éléments constitutifs du modèle sont souvent sensiblement plus complexes.

Mais, l’outil du seuil de rentabilité demeure terriblement efficace pour se confronter à une réalité chiffrée. Cela permet de limiter l’émotionnel dans la prise de décision en vue du lancement (ou pas) d’un nouveau business.

Et avec un peu de pratique, vous verrez que cette technique nous permet d’aller beaucoup plus loin dans la simulation/prédiction.

Maintenant, à vous de jouer ! Sortez votre tableur Excel et essayer de mesurer la faisabilité de votre idée de création d’entreprise.